Nuit (VI)

Nous nous baignerons tous deux dans la nuit fraîche, à la fenêtre ou sur la route. Je sais déjà que là sera notre foyer. Juste ta présence à mon côté pendant que nous nous reposons dans la splendeur immense, et le souffle, le souffle, tel un tout petit accordéon dans ma poitrine. Je n’ai déjà plus peur de l’absurdité et des profondeurs : tu m’ancres dans une autre gravité. Tu seras toi, insouciant et sage comme un vieux bouddha, unique au monde, un ange de Vinci et une vibration subtile incroyable insaisissable inattendue inoubliable ancestrale éthique essentielle.

Avec le recul, je ne sais pas vraiment ce que je fais. D’où viennent ces mots et pourquoi ceux-ci, pourquoi ce rythme, pourquoi cette image ? J’enchevêtre encore et encore et suis parfois trop obscure pour mes propres yeux.

Je dis je je je je mais qu’en est-il des autres ? Description ? J’écris à partir de ce que je suis, certes, mais quand pourra-t-on dire que j’ai basculé dans l’égocentrisme et le narcissisme ?

Clara, je t’écrirai une chanson un jour, pour toi le plus grand soutien.

Il est étrange, lorsque nous aimons quelqu’un profondément et que nous lui prêtons d’inexplorables et inénarrables qualités, que nous pensions de fait que ces qualités nous reviennent, que cette personne est « faite pour nous ». Comme si le meilleur devait nécessairement nous revenir, nous était cosmiquement dû.

Encore cette salle, et cette drôle de temporalité. Cela fait neuf ans à présent qu’elle voit voler mes pieds, mes bras ; qu’elle me voit grandir, sourire, avec tous ces amis. Il me semble y passer ma vie : elle est mon noyau, elle est plus pure intensité. Vous me voyez de loin en loin, parquet vernis, murs déchirants, beau billard et piano Yamaha, poutres basses et grande baie vitrée. Vous n’êtes plus les mêmes quand ils ne sont pas là, mais portez pourtant douces promesses et souvenirs heureux.

Mon irritation est lourde, sourde, profonde. Elle geint, elle expire, elle exhale, elle se plaint et bouillonne. Mon irritation est un séisme et un enfant, un trop-plein qui me fait chavirer, et un délire qui se nourrit de ses vapeurs. J’enrage, rage, rage, et me condense et me heurte à mon propre corps, mes parois, ma peau, mes membres. Ne t’approche pas, ma cible, ou tu mourras noyée avant que je ne me sois canalisée.

J’ai peur, mon ami, mon plus cher ami, de briser quelque chose de nous. Pourtant il faut dire, avant que ne grandisse ce malaise. Peut-être allons nous éprouver notre sagesse ?

Sisyphe. Je vais peut-être choisir la légèreté, contre toute attente. Pour un temps, soyons illusoires.

Il y a des tout petits mots cachés, par-ci, par-là, pour qui voudra, pour qui les cherche, pour qui passe dessus sans les remarquer. C’est peut-être un peu complaisant, mais c’est nouveau, c’est étrange, et c’est drôle aussi !

Entre nous, il y a tout intérêt à croire que nous ne deviendrons pas fous ce soir.