Nuit (X)

Peut-être serait-il souvent préférable, en cas de questionnement intérieur, de dormir au lieu d’écrire. En effet, si on dort, au réveil les choses semblent différentes, parfois on a vécu des choses profitables ou encourageantes en songe. Ce n’est pas garanti, mais c’est une possibilité. Si on écrit, on reste éveillé et se fatigue pour n’avoir pas forcément la réponse à la question, souvent on se perd plus qu’autre chose, surtout dans ces floues histoires de cœur. C’est pourquoi je me laisse porter, je plane de matin en matin, en attendant que l’oubli se charge de solutionner mes trop irréconciliables questionnements, puisqu’écrire et me questionner ne m’ont pas aidée à voir plus clair en tout cela. Ainsi, en me laissant mener par la vie, je n’ai passivement pas à faire de choix, et un jour je m’apercevrai avec tranquillité que j’ai cessé de souffrir, car j’ai cessé de lutter.

Dans le même temps je sais que ce n’est pas forcément comme ça que j’ai envie de procéder : je préfèrerais comprendre, m’interroger, agir en conscience. Mais ces temps-ci je suis fatiguée de faire revivre les cendres et d’attiser de nouvelles braises, et je préfère me ressourcer. Je sais qu’il faudra bien peu de choses pour que renaissent mon obsession et ma joie, et qu’il me sera alors assez peu difficile de hausser les épaules si ma nonchalance m’a un temps éloignée de mon amour pour toi.

22 heures, 23 mars. 22 heures comme à peu près tous les soirs à la gare. Une gare, d’une petite ville de province, trois voies et beaucoup de rails rouillés qui se tuent dans la pénombre jusqu’au grillage qu’on devine.

Discussions et lente arrivée d’une machine, presque inopportune. Petite brise, juste des ondes, des personnes comme des échos lissés, des fines trames, des fumerolles. 22 heures comme un soir paisible et muet.

Comme un accueil. Voici un an que je ne suis à moi que dans les gares. Ça avait pourtant mal commencé, dans cette gare régionale de San Sebastián où la nuit m’avait saisie et rejetée. Mais depuis les gares sont mes ilots de paix, que j’oublie de fois en fois. J’aime être de ceux-là, toujours sur le vif, les punks à chien, les baroudeurs, les zonards, les étrangers. J’aime être cette fille trop chargée, droite dans un coin pas si retranché de la gare, avec sa guitare dont elle ne sait pas jouer. J’aime être ou sembler être ce refus de constance, et en même temps cette attente lourde qui résiste au vent.

Et soudain le train arrive, et je le suis comme on accompagne un mort jusqu’au tombeau.

Telle est la porte.